Bio,biodynamie,nature: au-delà des chapelles
Si le volume d’encre coulé, le nombre de reportages réalisés ou le décompte des échanges générés au sujet du vin biologique, biodynamique ou naturel se traduisait en ventes et parts de marché, le portrait du vignoble serait bien différent dans ce qui, vu de loin, peut ressembler à une guerre de labels, caprices de bobos ou autres snobismes à la mode.
On a l’impression que tout ou presque a été dit sur le sujet. Pourtant, malgré l’irréfutable croissance de la consommation du vin bio, la popularité des vins naturels ou le nombre grandissant de vignobles de renom adoptant la biodynamie, beaucoup se perdent encore dans les nuances et les dissemblances des approches.
Vin bio: écolo ou éco blanchi?
La petite feuille verte étoilée est définitivement un label recherché par les consommateurs sur les étiquettes: sa présence rassure, garante d’une démarche à priori écologique du vigneron.
Dans les faits, depuis 2012, ce fameux sceau est jumelé à un cahier de charges qui couvre la vigne et le chai.
Une évolution, si on compare à la première mouture de cette réglementation européenne datant des années 90 relativement aux vins issus d’une viticulture bio: elle attestait certes de l’absence d’engrais chimiques, insecticides de synthèse et autres OGM. Une agriculture biologique qui traite les maladies de la vigne avec des outils d’origine naturelle. Bref, un raisin propre. Mais pas un mot ou presque sur son traitement une fois en cave.
C’est ainsi des dispositions bienvenues qui ont accompagné cette nouvelle étiquette s’adressant cette fois à ce qui se passe en chai, écartant entre autres certaines pratiques oenologiques telles que la désalcoolisation partielle tout en réduisant l’usage des sulfites.
Le vin bio fait désormais donc écho à cette volonté insistante des consommateurs de verser un liquide plus sain dans leurs verres à pied. Seulement, les exigences de ce label ne sont pas sans failles.
Les pratiques oenologiques toujours autorisées une fois au chai démontrent les limites du vin bio tel qu’homologué aujourd’hui. Avec des intrants à la dizaine toujours permis et des manipulations techniques telles que le traitement thermique, l’osmose inverse ou la pasteurisation , les critiques du vin biologique sont plus que légitimes.
Par ailleurs, nombreux sont ceux qui se drapent de la verte feuille sans pour autant intégrer une approche cohérente dans l’ensemble de la démarche. L’usage d’un cuivre dévastateur pour les sols, copeaux de bois pour accentuer les tanins, l’omniprésence de la mécanisation, des pratiques peu durables de la vigne à la bouteille: on a l’impression des fois que le label bio, créé dans les officines de l’Union européenne, plus proche des lobbyistes que des vignerons, sert des fois plus à verdir des consciences et rassurer des parts de marché plutôt que de s’inscrire dans une philosophie écologique concrète.
Vin biodynamique: science, philosophie et ésotérisme
Pour parler de la tendance de vins en biodynamie, nous devons faire un détour du côté de l'anthroposophie. Philosophie ésotérique, doctrine occulte, pseudoscience, mouvement spirituel, charlatanisme, secte? Les qualificatifs entourant le courant controversé initié par Rudolf Steiner au début du siècle dernier sont abondants et pour la plupart peu élogieux.
Passons les nombreux écrits liant le mouvement et son fondateur à des mouvements racistes, le fourre-tout théologique allant du Bouddhisme au Christianisme en passant par l’Hindouisme, les ramifications financières d’une industrie de la biodynamie et l'anthroposophie qui se chiffrent en milliards essentiellement dans les pharmaceutiques et cosmétiques.
Les bases de la biodynamie ont été formulées initialement par Rudolf Steiner lors d’une série de conférences à l’attention d’agriculteurs en 1924.Les écrits de Steiner sur l’agriculture(retranscription de ses conférences dans un recueil nommé Cours aux agriculteurs), mais également sur l’éducation ou la médecine, trouvent racines dans la doctrine et dogmes anthroposophiques et en sont des applications plus ou moins rigoureuses.
Concrètement, dans le cas qui nous concerne, il s’agit de préparations telles que la Bouse de corne (la 500) obtenue par la fermentation d’une bouse de vache introduite dans une corne de vache qu’on enterre durant l’hiver. Les différentes préparations sont “dynamisées” dans l”eau, c’est-à-dire diluées dans l’eau durant un certain temps puis pulvérisées sur le sol ou la plante.
En plus de ces méthodes, qui ont un certain air de famille avec l’homéopathie qui sévit dans nos pharmacies, l’approche biodynamique suit un calendrier particulier dans toute sa pratique de la viticulture à la vinification, dépassant la mise en bouteille et allant jusqu’à la dégustation.
Dans ce calendrier, on considère divers cycles, principalement lunaire, mais aussi sidéral (fruit, feuille, fleur, racine). Certains travaux de la vigne ne devraient être exécutés en jours “racine”, comme il est recommandé de déguster certains vins lors de jours “fruit”.
Au-delà des critiques de ces aspects ésotériques qui prêtent à sourire ou douter, ce qu’on reproche le plus au mouvement des vins biodynamiques est de n’apporter que des preuves empiriques au mieux. Aucun raisonnement scientifique rigoureux ne vient appuyer l’efficacité et la portée réelle de la démarche biodynamique.
Ceci dit, des faits demeurent incontestables: la biodynamie est bel et bien une démarche. Elle rapproche le vigneron de sa vigne, de son sol, son terroir. Il est plus à l’écoute de la plante et contribue à sa vigueur et résistance. Plusieurs domaines et châteaux, et non des moindres, adoptent ou ont adopté la biodynamie comme philosophie. Le vin le plus cher au monde, en Romanée-Conti, est en biodynamie depuis 2007. Sans tambour ni trompette d’ailleurs. Ce n’est pas un argument marketing, mais une conviction.
Bref, il est indéniable que les vignerons en biodynamie mettent en bouteille un vin sain issu d’une vigne en santé. Quant aux sceptiques, pour paraphraser l’oenophile qu’est Pierre Desproges, combien vont à Lourdes sans rigoler?
Vin nature: tendance au goût du jour
Nature, naturel, vivant, nu, brut, pur jus, propre, la difficulté de ses artisans et de ses adeptes pour le nommer à l’unisson est à l’image du mouvement des vins naturels. Hétéroclite, rebel, irrévérencieux même relèveront certains. D’autres pointeront une fragilité, une instabilité, des imperfections.
Mais qu’est-ce donc ce vin au coeur des conversations chez les amateurs, suscitant à la fois l’emballement et la polémique?
Ce n’est que plus tôt cette année qu’une définition et un label existent pour encadrer ce qu’on appellera désormais officiellement “Vin méthode nature”.
C’est un vin issu de raisins biologiques, vendangés manuellement, vinifié sans intrants ni oenologie corrective. Et le soufre alors? Source de dissension même dans le clan des vignerons naturels? Le sulfite demeure interdit avant et pendant les fermentations, mais on autorise des doses homéopathiques avant la mise en bouteille.
Cette salutaire définition saluée par plusieurs, n’était pas pour autant attendue avec impatience par nombreux vignerons qui craignent qu’un label usurpe l’authenticité de la démarche naturelle au profit d’industriels et lobbyistes de la vigne comme ce fut le cas avec le bio ou reproduit les travers des appellations qui mettent souvent l’accent sur le trivial et négligent la qualité ou la typicité.
La rafraîchissante émergence du vin naturel est polarisante autant dans sa façon de faire du vin que dans sa façon de communiquer avec des noms ou des étiquettes au ton totalement décalé qui ne sont pas étrangers à son essor auprès d’une génération qui se détourne de plus en plus du vin et son approche classique ou conservatrice.
Pourtant ce n’est qu’un retour aux sources, aux méthodes anciennes, peu interventionnistes, que ce soit au Caucase, avec des jarres de vin enterrées en Géorgie par des vignerons il y a 8000 ans, aux Marcel Lapierre dans le Beaujolais, Pierre Overnoy dans le Jura, Nicolas Joly en Loire, produisent du vin naturel avant que ce ne soit une tendance.
Mais au-delà du phénomène lui-même, le vin nature met en exergue un réel problème dans le monde viticole, plutôt lié à la contre-étiquette.
En se définissant comme pur jus, c’est à dire simplement un produit de la vigne sans intrants, chimie ou interventions, il révèle l’absence de transparence qui sévit depuis longtemps dans l’industrie de la vigne qui, contrairement à tout autre produit alimentaire, est dispensée de révéler ce qui compose le vin. Ironique quand on sait que plusieurs siècles avant notre ère, les Égyptiens estampillaient les amphores avec des informations telles que la qualité, l'origine des raisins, le nom de la vigne et celui de son propriétaire.
Nous pouvons nous épancher plus longuement sur ce qui sépare les différentes façons de faire du vin sain qu’il soit bio ou naturel, essayer de savoir qui lave plus blanc que blanc. Les discours culpabilisants et les approches jusqu'au-boutistes, militantes détournent des fois de ce qui rassemble ces méthodologies. Le véritable progrès sera quand ces différentes approches qu’on distingue avec des labels deviennent la norme, la convention et que les vins multipliant les interventions, la chimie et les manipulations oenologiques modernes soient identifiées comme telles.
Il va de la qualité du produit qu’on consomme, mais également de la santé. Celle du vigneron d’abord et avant tout. Celle du sol, de la plante, de la biodiversité et finalement, la nôtre, humbles et enthousiastes buveurs.