Quand l’Amérique a colonisé le vignoble français

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L’histoire pourrait bien commencer par “il était une fois un tout petit puceron américain qui aimait trop la vigne”. Elle peut aussi se terminer par “ils vainquirent, tournèrent la page et tout était redevenu comme avant”. 

Mais l’histoire de cette toute petite bête qui a menacé d’extinction l’ensemble du vignoble  français ainsi qu’une bonne partie de la vigne du vieux continent a laissé des traces indélébiles sur les terres et dans nos verres. 

Tout comme la crise sanitaire autour du coronavirus, celle du phylloxéra trouve ses coupables tout désignés dans les moeurs économiques de son époque.

Au coeur d’une révolution industrielle marquée, dans le monde de la vigne, par un productivisme souvent au détriment de la qualité,  des vignes issues d’Amérique commencèrent à faire leur apparition sur sol européen.

Ces plants américaines n’arrivaient malheureusement pas les mains vides: des maladies cryptogamiques (maladies causées par un champignon parasite) ont fait leur apparition: le mildiou et l'oïdium.  Mais ce n’était rien  devant le ravage du puceron quasi-microscopique.

C’est donc cette époque industrielle qui a vu les moteurs et la vapeur supplanter les voiliers et donc rendre les voyages transatlantiques plus clément pour ce destructeur pourtant inoffensif dans sa terre natale.

Triste ironie de penser que cette même industrialisation qui a rendu le commerce plus aisé a failli sonner le glas du vignoble européen.

Crise viticole, crise sociale

Le petit insecte voyageur s’est répandu inexorablement dans le vignoble de France et d’Europe comme une tâche d’huile décimant sur son passage le vignoble français a fait preuve d’une résistance peu commune. Alors qu’on trouvait des moyens pour soigner la vigne des maux des champignons parasites, le puceron a non seulement survécu aux remèdes pour l’enrayer,  mais pullulé par milliers et millions.

Vincent Van Gogh représentait en 1888 dans sa “vigne rouge” des vendanges de vignes aux feuillages rouges et jaunes, aux ceps affaissés, symbole d’un saccage qui a gagné l’Europe. 

Ce ravage dans les vignes se traduit par une industrie, un  monde paysan aux abois, allant de l’incrédulité au  renoncement, vacillant entre le déni et la misère avec au passage fraude, superstition  et  désertion.

La Vigne rouge / Peinture de Vincent van Gogh
La Vigne rouge / Peinture de Vincent van Gogh

Le loup sauve la bergerie

Mais les gens du vin sont reconnus pour leur résilience et leur astuce même devant ce désastre qui meurtri leur terre.

Après moults essais infructueux, l’idée de soigner le mal par le mal en faisant appel aux plants américains, résistants au funeste puceron, comme porte-greffe fit son chemin dans les cercles scientifiques puis dans les terres viticoles non sans résistance de ceux qui voyaient plutôt dans le sulfure de carbone le remède salvateur des vignes européennes, Vitis Vinifera.

Ce que ça signifie concrètement?

On a greffé des plants américains résistants au phylloxéra aux vignes européennes dans le but de conserver toutes les qualités organoleptiques (goût, odeur, aspect, consistance).

Ce ménage de raison, faisant du mal un sauveur, transforma à tout jamais le vignoble français en reconstruction. Pour le meilleur ou le pire, nul ne peut nier un bouleversement qui a mis du temps à gagner en qualité et stabilité. 

Le monde d’après

D’aucuns diront que cette lutte puis le triomphe furent acquis sans victimes.

Commençons par la plus importante des dépouilles laissée sur ce champ de bataille : le goût « pré-phylloxérique ».

De la même manière que nos yeux n’ont jamais croisé de Dodo, de mammouth ou de Velociraptor; de la même manière que des générations futures croiseront les koalas ou les pandas aux musées et dans des illustrations, ce goût du vin issu d’un plant franc de pied, sans porte-greffe, pré-puceron, est inconnu pour plusieurs.  

Certes, des artisans inspirants, tels que le défricheur Henry Marionnet et son gamay (Domaine de la Charmoise) ou l’iconoclaste Loïc Pasquet et ses cépages abandonnés(Liber Pater) signent des vins aux personnalités uniques, authentiques, porteur d’arômes oubliés. 

Mais c’est la quasi totalité du vignoble mondial qui est en fait implanté sur des porte-greffes américains. C’est toute la viticulture qui a subi cette révolution forcée.

Il serait naïf de nier que la saveur du vin fut irrémédiablement altérée...ou presque.

Car la crise a aussi été un vecteur de changement positif également. D’abord, “faire moins mais faire mieux” a creusé son chemin chez les producteurs accouchant ainsi de cahiers de charges et appellation d’origines. Nous pourrons certes discuter de la dérive bureaucratique des appellations mais l’indéniable tangente pour un vin de qualité est indéniable.

La crise sanitaire qui a bousculé le monde viticole, décimé le vignoble de plusieurs régions et fragilisé l’économie de nombreux pays a été irrémissiblement néfaste . Elle aura permis néanmoins, de la plus douloureuse des manières, de remettre le terroir au coeur des préoccupations.

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